L’hiver approche, le froid commence à se faire sentir, mais l’Astronomie vous propose de vous réchauffer l’esprit en partant au cœur des étoiles, et pas n’importe lesquelles : les géantes rouges !
L’auteur de ce Zoom, publié dans l’Astronomie de décembre 2020, est Sébastien Déheuvels, qui a reçu le prix Jeune Chercheur 2019 de la SF2A. Le résumé proposé ici a été rédigé par Janet Borg.
Les étoiles tournent sur elles-mêmes plus ou moins rapidement selon leur âge, leur masse et les conditions dans lesquelles elles se sont formées. Or, la rotation influence la structure et l’évolution des étoiles. Sa conséquence la plus spectaculaire est l’aplatissement des étoiles aux pôles du fait de la force centrifuge. Cet effet n’est toutefois visible que pour les étoiles qui tournent le plus vite sur elles-mêmes. Le Soleil, qui a une rotation lente, est pratiquement sphérique (son diamètre aux pôles est inférieur à son diamètre équatorial de seulement 0,001%). En revanche, même dans les étoiles qui tournent lentement, la rotation provoque des mouvements d’ensemble à l’intérieur de l’étoile et induit ainsi un mélange des éléments chimiques. Cela modifie la quantité d’hydrogène disponible pour les réactions nucléaires au cœur de l’étoile et la rotation influence le rythme auquel l’étoile évolue.
Mesurer la rotation des étoiles n’est pas chose aisée. La majorité des méthodes actuelles permet d’estimer la rotation de surface de l’étoile. Toutefois, cela n’est pas suffisant pour comprendre les mécanismes qui gouvernent son évolution. En effet, il ne faut pas oublier que les étoiles ne sont pas des corps solides, mais des boules de gaz. On s’attend a priori à ce que le cœur des étoiles tourne plus vite que leur enveloppe. Pour comprendre la rotation des étoiles, il est absolument nécessaire de mesurer leur rotation interne en plus de leur rotation de surface. C’est de l’étude du comportement des ondes sismiques à l’intérieur de l’étoile que l’on obtient des renseignements sur sa structure interne.
Pour comprendre, prenons l’exemple du Soleil, dont les oscillations n’ont été détectées qu’au début des années 1960. Dans les régions internes du Soleil, la rotation est quasiment uniforme en rayon et en latitude : tous les éléments du gaz mettent le même temps pour effectuer un tour complet dans cette région, observations en contradiction avec les prédictions des modèles d’évolution stellaire standard. Pour progresser dans la compréhension des phénomènes mis en jeu, il est crucial d’avoir accès à des mesures de rotation interne d’autres étoiles que le Soleil.
En observant pendant quatre ans un même champ du ciel, le satellite Kepler a atteint une précision suffisante pour offrir l’occasion excitante de sonder la rotation interne des étoiles géantes rouges. La première étoile géante rouge pour laquelle il a été possible de mesurer précisément la rotation du cœur est une étoile cible de Kepler. L’astérosismologie a permis de montrer que le cœur de cette étoile tourne entre 12 et 22 fois plus vite que son enveloppe. Cette rotation différentielle radiale peut paraître forte, mais en réalité elle est environ 100 fois plus faible que celle prédite par les modèles stellaires actuels. C’est là une preuve claire qu’un processus physique œuvre pour empêcher le cœur des géantes rouges de tourner trop vite. Par la suite, il a été montré que lorsque les étoiles sont en train de devenir des géantes rouges (on parle alors d’étoiles sous-géantes), la rotation du cœur accélère alors que la rotation de l’enveloppe décélère au cours de l’évolution. Ce type de comportement était attendu, dans la mesure où le cœur se contracte alors que l’enveloppe se dilate pendant cette période. Toutefois, à la fois la vitesse de rotation au cœur et l’intensité de la rotation différentielle radiale sont nettement inférieures à ce que prédisent les modèles théoriques actuels. Cela confirme l’existence d’une homogénéisation de la rotation interne à ce stade de l’évolution. La rotation du cœur a également pu être mesurée dans un millier d’étoiles géantes rouges. Ces résultats ont montré que la rotation au cœur des étoiles géantes rouges subit une légère décélération au cours de l’évolution malgré la contraction rapide du cœur, qui devrait au contraire fortement l’accélérer ! Là encore, ces observations pointent vers l’existence d’un mécanisme qui tend à réduire la rotation au cœur des étoiles géantes. Alors qu’au début des années 2010, le Soleil restait la seule étoile dont la rotation interne avait pu être sondée, l’astérosismologie des géantes rouges a apporté des mesures de la rotation au cœur de plus d’un millier d’étoiles à diverses étapes de leur évolution. Cela constitue une mine d’or pour revisiter la question épineuse de l’évolution temporelle de la rotation interne des étoiles.
Ces nouveaux résultats n’ont pas tardé à motiver de nombreuses nouvelles études théoriques visant à identifier le mécanisme qui opère dans les géantes rouges. Deux principaux candidats sont aujourd’hui à l’étude. Le premier est le champ magnétique. Il est probable que les cœurs stellaires abritent des champs magnétiques, qu’ils soient présents dès la formation de l’étoile ou bien engendrés par un phénomène de dynamo. Or, de tels champs magnétiques pourraient lisser la rotation interne des étoiles, par exemple par le développement d’instabilités de ces champs magnétiques. L’autre mécanisme possible est la génération d’ondes de gravité internes à la base de l’enveloppe convective des étoiles géantes. Dans ces enveloppes, la matière stellaire est turbulente. Les mouvements turbulents à la base de l’enveloppe peuvent exciter des ondes de gravité, qui se propagent vers le cœur de l’étoile. De nombreux travaux théoriques et simulations numériques sont aujourd’hui en cours pour tester ces deux hypothèses et déterminer si elles peuvent rendre compte de la rotation interne des étoiles géantes.
En plus des résultats sur les géantes rouges, d’autres types d’étoiles ont récemment vu leur rotation interne révélée par l’astérosismologie, comme les étoiles de type spectral A et B en séquence principale (étoiles plus massives que le Soleil et qui fusionnent encore de l’hydrogène au cœur) ou les naines blanches. Les données sismiques des satellites CoRoT et Kepler seront bientôt complétées par celles du satellite américain TESS (lancé par la Nasa en 2018 et en cours d’opération) et du satellite européen PLATO (Esa), dont le lancement est prévu en 2026. On aura à terme une vision claire de la rotation interne des étoiles et de la manière dont elle est modifiée au cours du temps. Avec, à la clé, tous les ingrédients pour comprendre comment la rotation influence l’évolution des étoiles et le décrire correctement dans les modèles d’évolution stellaire.
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