Par Stéphane Neveu

Dans le numéro 90 d’Observations & Travaux, un article relate l’opposition de Mars observée en 1909 et en 2020 avec le même télescope, fabriqué par Calver. Pour prolonger cet article, découvrons plus en détail ce fabricant renommé à son époque.

En octobre 2020, la Société astronomique de France (SAF) a reçu en don d’un de ses sociétaires, M. Matheron, le télescope personnel de l’astronome Eugène Michel Antoniadi (1870-1944).
Célèbre pour ses travaux planétaires et en particulier ceux concernant Mars réalisés à la grande lunette de l’observatoire de Meudon, Eugène Antoniadi était membre de la SAF, assistant de Camille Flammarion et président de la section Mars de la British Astronomical Association (BAA).

Des informations détaillées sur son histoire et ses travaux sont disponibles en ligne sur les sites suivants :
– Observatoire de Paris – Exposition Le Fonds Eugène Antoniadi
– Richard McKim, British Astronomical Association – IWCMO conference, Paris, 18th September 2009
Société Astronomique de France.

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L’histoire du télescope d’Antoniadi

1902
À l’occasion de son mariage avec Katherine Sevastopoulos, Antoniadi a reçu en cadeau de sa belle-famille un télescope Newton de 216mm fabriqué dans les ateliers de Georges Calver. Il utilisa son instrument occasionnellement depuis son appartement parisien, rue Jouffroy.

1909
Anatoniadi installe son télescope à l’observatoire de Juvisy-sur-Orge pour étudier Mars.

1937
André Belugou, membre de la SAF depuis 1927, devient propriétaire du télescope (par l’intermédiaire de Ch. Boulet, lui aussi membre de la SAF).
Remise en état de l’instrument par M. Martin, mécanicien à l’Observatoire de Meudon.

Puis Léon Guintrand (membre de la SAF depuis 1950, collectionneur et fondateur du Groupe Pechiney) devient le troisième propriétaire.

1970
Gérard Matheron achète pour 1000 francs cet instrument à Guintrand, de Nîmes, par l’intermédiaire de Robert Mévolhon.

2020
Le 8 octobre, M. Matheron fait don de l’instrument à la SAF.
Le 13 novembre, la SAF récupère le télescope chez M. Matheron et le transporte jusqu’à l’observatoire de Juvisy où il est conservé.

George Calver (1834-1927)
Opticien britannique réputé à la fin du XIXe siècle pour la qualité de ses miroirs et de ses instruments, George Calver fournit ses télescopes à de nombreux astronomes amateurs et professionnels.

George Calver vers 1914.

Durant sa carrière, on estime qu’il a réalisé dans son atelier de Chelmsford environ 4000 miroirs de télescope de 5 à 36 pouces (127 à 915mm) de diamètre !
Certains ont encore été utilisés récemment. Par exemple, le Crossley Telescope de l’observatoire de Lick était en service jusqu’en 2010.
Ses instruments de type Newton ou Cassegrain étaient fournis avec monture équatoriale ou azimutale.
Le télescope d’Antoniadi est illustré dans le catalogue Calver sous la désignation « Reflecting Telescope on Alt-azimuth Stand, fitted with silvered glass Speculum, and provided with two eye-pieces.  8-1/2 inch Speculum».

Télescope Calver de 8 ½ pouces. Gutenberg Ebook.

Le catalogue est consultable gratuitement sur : https://www.gutenberg.org/files/53494/53494-h/53494-h.htm
Il contient de nombreux témoignages de clients que Calver avait la bonne idée d’inclure avec la description de ses instruments.

Le télescope d’Antoniadi
Ce Newton de 8 ½ pouces sur monture azimutale peut être démonté en trois parties : le tube optique, la fourche et le pied. Chaque élément est massif et nécessite de sérieux efforts pour être déplacé, mais dans l’ensemble on peut qualifier le télescope de transportable, ce qui n’était nullement le cas des instruments Calver sur monture équatoriale comme indiqué dans le catalogue du constructeur.
Le télescope d’Antoniadi nous est parvenu parfaitement opérationnel. Il était donc aisé de le remettre en service. Le tube est bien équilibré, les mouvements en hauteur et en azimut sont précis.
Chaque axe dispose d’un frein qui, une fois serré, ne laisse que la possibilité d’agir sur les mouvements fins, facilitant ainsi le suivi de l’astre observé.
Le trépied est équipé de roues facilitant le déplacement de l’ensemble. Des vis de blocage permettent de fixer la monture au sol.
Une trappe d’accès sur le tube permet l’accès à un cache protégeant le miroir primaire.
La collimation, comme sur les Newton contemporains, est réalisée au niveau du miroir primaire par trois vis de blocage et trois vis poussantes. Pour le secondaire, une vis de blocage et trois vis de réglage permettent l’alignement du miroir.

L’araignée à trois branches peut être réglée en tension par trois vis disposées autour du tube.

Le cache du porte oculaire présente un œilleton pour faciliter la collimation.
Le tube optique, long de plus de deux mètres, est imposant. Quand l’instrument pointe relativement haut, un escabeau est indispensable pour mettre l’œil à l’oculaire. Le porte oculaire en laiton est du plus bel effet. En revanche, la mise au point est un peu dure. Avec l’instrument, un jeu d’oculaires (de 40 à 450x) et de filtres nous est parvenu en bon état. Le chercheur est lumineux et dispose bien sûr d’un réticule. Hélas, son alignement avec le tube optique ne peut être réglé aisément.
L’instrument, construit en 1902, présente un ensemble performant qui n’a rien à envier aux Dobson contemporains. Il est simple d’utilisation, ergonomique, bien conçu et dispose de mouvements fins précis. Toutefois, il est extrêmement encombrant et massif – probablement une certaine de kilogrammes – pour une ouverture de 216mm avec une longue focale. Il est parfaitement adapté aux observations planétaires.
Antoniadi semblait totalement satisfait des performances de son télescope. Toutefois, il décida de s’en séparer en 1937. La lettre destinée à son acheteur, M. Belugou, accompagnant l’instrument nous apprend que ses observations de Mars en 1909 étaient mémorables. Nous la reproduisons ci-dessous pour son intérêt « historique ».

1909 fut une année « miraculeuse » pour l’observation de Mars, à l’opposition fin septembre.
Antoniadi observa la planète rouge avec son télescope à l’observatoire de Juvisy de début août jusqu’au 19 septembre de cette même année. Pour la première fois, avec son confrère astronome Ferdinand Quénisset, Antoniadi mit en évidence qu’une tempête de poussières masquait les détails de la surface de Mars.
Le 20 septembre, il rangeait son télescope personnel et allait étudier la planète à la grande lunette de l’observatoire de Meudon. Ce fut pour lui une révélation. Son travail et ses dessins allaient lui permettre de démontrer que les canaux martiens n’étaient qu’un mythe. En septembre 1909, le seeing et les conditions étaient parfaits et jamais Antoniadi n’en retrouverait de telles à Meudon lors de l’opposition de 1911. Sa correspondance nombreuse de l’époque avec Lowell, Barnard, Hale, Shiaparelli, ses publications dans le bulletin de la SAF et le journal de la BAA témoignent de la richesse des détails observés à la grande lunette. 

Quatre astronomes amateurs de la SAF et animateurs à l’observatoire de Juvisy ont décidé de revivre l’histoire et d’observer Mars à l’opposition au cours de l’automne 2020 avec le télescope Calver et la lunette de Flammarion, à l’Observatoire de Juvisy.
En ces lieux où Antoniadi et Quénisset avaient œuvré, au moyen de ces mêmes instruments, il y a de cela 111 années.
Un récit à découvrir dans Observations & Travaux n°90.

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